Ce que la presse dit de la complainte criminelle
On explique, dans Le Chant des crimes, que la complainte est concurrente du journal imprimé pour annoncer le crime et que, lorsqu’elle se trouve signalée dans ce dernier, c’est toujours en mauvaise part. Voici deux exemples d’articles sur le sujet, publiés peu après l’exécution de Joseph Vacher.
M. R.
Illustration : la Complainte de Troppmann, sur criminocorpus. Crédits : collection P. Zoummeroff sur Criminocorpus
On trouvera deux variantes de la complainte de Troppmann sur L’Histoire par l’image
C’EST UN JEUDI, TRISTE JOURNÉE !
Sur la place du Théâtre-Français, des camelots vendent un morceau de papier colorié qui représente ou est censé représenter la Comédie en flammes. Au verso, onze couplets, parfaitement ineptes d’ailleurs, qui relatent l’évènement. C’est, évidemment, le fruit d’une muse hâtive :
C’est un jeudi, triste journée !
À Paris, l’Théâtre-Français
Allait jouer en matinée.
Tout s’annonçait comme un succès,
Quand, rue Richelieu,
Quelqu’un crie : Au feu !
Et ainsi de suite. On pourrait peut-être s’étonner du manque de délicatesse du confectionneur de cette élucubration, qui, dès le lendemain de la catastrophe, met, sur l’air de la Paimpolaise, avec refrain, la mort d’une pauvre petite comédienne. Mais il faut se rappeler que la « complainte » est, elle aussi, un genre « éminemment français ». Il ne s’adresse pas, évidemment, aux classes les plus cultivées. C’est, à l’adresse des âmes sensibles du bon populaire, le résumé rapide et frappant d’un fait dramatique. Tels, jadis, les rhapsodes allaient chantant, afin que la musique aidât à la mieux graver dans la mémoire, une page des annales de l’humanité.
Elle a eu des hauts et des bas, la complainte. Très naïve, souvent touchante en ses puérilités d’expression, elle va périr, quand un lettré, par plaisanterie, la remet en honneur, en imitant son absence de littérature. C’est la complainte de Fualdès, un chef-d’œuvre à sa façon, qu’improvise, en riant, Louis Desnoyers. Et le résultat, imprévu par lui, c’est que la complainte, qui allait tomber en désuétude, est reprise au sérieux, au moins par les gens qui se contentent de peu. Depuis, pas d’événement important qui n’ait eu sa complainte, de sorte que celle-ci devient comme le critérium de l’émotion causée par un malheur public, un crime, un accident, voire un débat politique. Si basses, en général, que soient ces productions, l’histoire n’aura pas tout à fait le droit de les négliger : elles seront, un témoignage de la sensibilité de l’opinion.
La complainte apparaîtra aux chercheurs futurs comme une tradition plus que comme une spéculation d’industriels sans beaucoup de goût ni de pudeur. Par là ils excuseront sa platitude le plus souvent tout à fait misérable.
Je me suis amusé à en collectionner pas mal, de complaintes. Il paraît assez manifeste que ceux qui les composent n’ont plus la foi. La complainte, expédiée en quelques instants, n’a plus que rarement de ces trouvailles d’expression qui la rendaient attendrissante. Elle est traitée sans la nécessaire ingénuité par où elle se doit recommander. Les « connaisseurs » n’ont plus rien à-y-goûter, ni la savoureuse incorrection, ni la vivacité suggestive du tableau, ni le jeu de mots enfantin qui y est de fondation.
La complainte de Vacher, « l’éventreur » est assez affligeante par son indigence ; c’est ce qu’on appelle « un beau sujet » gâté. A peine un couplet qui se rapproche des éléments du genre :
Aujourd’hui, que de familles
Par ce monstre sont en deuil !
Elles n’ont plus qu’un cercueil
Au lieu de garçons ou filles.
Il fit saigner bien des cœurs
Et répandre bien des pleurs.
Mais tout couplet est perdu qui ne se termine pas par un trait. Ainsi le veut la poétique de la complainte, et c’est cette absence du trait qui fait constater la décadence. Une des dernières complaintes dignes de la bonne époque fut celle de Troppmann ; vous voyez qu’il faut remonter assez loin. D’abord, elle a du souffle, elle est immense, elle a soixante et une strophes, et la complainte en effet demande l’abondance ! Puis elle a le trait, dans la note voulue :
Troppmann, quel nom plein d’audace !
.. Est celui du meurtrier,
Qui tentant de se noyer
Fut pris au Havre-de-Grâce…
De grâce, non, dans ce cas,
On ne lui en fera pas !
Voilà le type du couplet de complainte. On le goûte ou ne le goûte pas, mais il faut qu’il soit tel. Rien de cette nature dans la complainte de Campi, qui y « prêtait » cependant, ni dans celle du sergent de ville Prévost, ni dans celle de Mathias Hadelt, « le moine assassin » d’Aiguebelle. La complainte de Moyaux, l’auteur du crime de Bagneux, qui tua sa fille en la jetant dans un puits, a pu, du moins, faire verser des larmes à de petites ouvrières. Des détails sont là, visions évoquées à l’aide d’un mélange de sentiment et d’horreurs auxquels elles ne durent, pas résister. Moyaux, par exemple, attire la fillette sans défense dans un piège :
Je lui dis : Il fait superbe!
Nous allons nous promener,
Tu pourras bien t’amuser
Et cueillir des fleurs dans l’herbe.
— De fleurs, y en avait pas,
Mais seulement le trépas !..
C’est, au moins, connaître l’âme populaire et les moyens de la faire vibrer. Elle vibre aussi, en ces morceaux, par le patriotisme facile. Ainsi, ce couplet de la complainte sur le naufrage de la Bourgogne, pendant lequel un Italien, affolé, frappa de coups de couteau quelques-uns de ses compagnons d’infortune, afin d’essayer de gagner plus vite une chaloupe :
Les officiers d’la Bourgogne
Moururent tous en héros,
Ainsi que les matelots.
Pendant que l’Italien cogne,
Comme un lâche, pour courir.
Le Français, lui, sait mourir !
Cette jactance est dans le goût du genre, auquel il ne faut pas demander un raffinement que, par nature, il ne saurait offrir. Les grands crus valent mieux que le piccolo, mais il faut que le piccolo soit du piccolo. Au demeurant, on a vu, par de récentes expériences, que le peuple est capable de s’intéresser à d’autres choses qu’à ces pauvretés, et les lectures de beaux vers, dans les universités populaires, l’ont ravi. Il serait assurément préférable de l’aider à monter, au lieu descendre vers lui.
Mais je ne prends la complainte que pour ce qu’elle est. C’est la gazette à peu près rimée des carrefours, le Loret continué des humbles.
Dans les petites villes, dans les campagnes, elle a encore une action. Un avocat me racontait un jour que, naguère, ayant plaidé pour un gredin qui avait commis toutes sortes de méfaits, il réussit à sauver sa tête et à ne le faire condamner par un jury, sensible à l’éloquence, qu’à une peine relativement légère.
Le lendemain, les parents de ce gibier d’échafaud, miraculeusement épargné, vinrent le trouver et le remercièrent avec une effusion qui étonna l’avocat, car il n’avait pas beaucoup d’illusions sur la sensibilité des paysans, et il savait, notamment, que si son client avait été poussé au crime, c’était un peu parce qu’il avait été abandonné par les siens, en des circonstances difficiles. Intrigué, il demanda à un cousin du coupable, qui avait pris la parole au nom de cette petite députation, la vraie cause de cette reconnaissance si chaude, si peu attendue.
— Ah ! monsieur, répondit l’homme, c’est que vous nous avez sauvés de la complainte !
Il y avait, dans ce mot, toute une évocation de la vie étroite, avec les rancunes et les jalousies qui prennent toutes les formes, sous l’âpreté des rapports d’affaires. L’épithète de parent d’assassin, lancée à un moment opportun avec un couplet de la complainte à l’appui, pouvait faire manquer un marché avantageux ; ou empêcher le renouvellement d’un bail…
Paul Ginisty
Source : Article de Paul Ginisty paru dans La Liberté, 14 mars 1900, p. 1.
LA « COMPLAINTE »
À propos — de la mort de M. Macé, l’ancien chef de la sûreté, on a rappelé ce petit musée criminel qu’il avait formé, dont toutes les pièces avaient leur tragique histoire. Je sais un autre petit musée du crime, mais qui tient beaucoup moins de place, car un portefeuille suffit à le renfermer.
C’est — et après tout, c’est de la petite histoire — la collection de la plupart des « complaintes » qui ont été composées à l’occasion de causes célèbres. Ces placards, avec leurs images horrifiques et leurs naïfs poèmes, ne laissent pas d’être curieux dans leur ensemble.
C’est la complainte, voyez-vous, qui est un genre « éminemment français » Elle est, on peut le dire, vieille comme les rues, où elle fut chantonnée de tout temps, c’est l’âme populaire interprétant à sa façon les événements, en tirant une moralité ingénue et simpliste.
Elle remonte si loin qu’on en connaît une sur la mort de Jeanne d’Arc, narrant les principales phases de la courte et lumineuse existence de la Pucelle :
Elle porte la croix d’or
La fleur de lys au bras…
Sa pareille, y n’y a pas…
Depuis plus d’un siècle, il n’y a pas un assassinat fameux, un crime retentissant, un attentat de marque qui n’ait eu sa complainte. Et l’on vous citerait, par exemple, pour aller au-delà de cent années écoulées, celle de la machine infernale dirigée contre Bonaparte.
Cette invention d’enfer,
Avec un cercle de fer…
C’est une abondante littérature spéciale, que les chercheurs de l’avenir ne devront peut-être pas tout à fait dédaigner, car, en somme, c’est la vision synthétique des faits par les contemporains.
***
Il faut reconnaitre que, aujourd’hui, la complainte manque un peu de sincérité. Elle a gardé sa forme traditionnelle, mais elle n’est plus qu’une sorte de plaisanterie, souvent macabre, une fantaisie. Les journaux, qui donnent amplement des détails minutieux sur tout ce qui se passe, lui ont enlevé les meilleures raisons de son intérêt. Quand elle paraît, elle n’apprend plus rien, et elle a trop à lutter contre notre scepticisme. Mais il n’y a pas bien longtemps encore que dans les campagnes, tout au moins, elle était comme la sanction de la foule donnée au verdict de la justice. Jules Favre racontait, naguère, qu’un jour, dans les Deux-Sèvres, ayant plaidé pour un gredin qui avait commis toutes sortes de méfaits, il avait réussi, à force d’éloquence, à sauver sa tête et à ne le faire condamner qu’à une peine relativement légère.
Le lendemain, les parents du malfaiteur vinrent le trouver et le remercièrent avec une effusion qui étonna l’avocat, car il n’avait pas beaucoup d’illusions jar la sensibilité des paysans, et il savait que si son client avait été poussé au crime, c’était un peu parce qu’il avait été abandonné par les siens en des circonstances difficiles. Intrigué, Jules Favre demanda à un oncle du coupable, qui avait pris la parole au nom de cette petite députation, la vraie cause de cette reconnaissance si chaude et un peu inattendue.
— Ah ! monsieur, répondit le bonhomme, c’est parce que, nous, vous nous avez sauvés de la complainte !
La complainte inspirait une véritable terreur aux parents du condamné, on la leur répétait aux oreilles, on les poursuivait avec ce refrain qui leur rappelait leur honte et leur malheur et on se servait méchamment du souvenir évoqué pour leur nuire…
***
Le « beau temps » de la complainte, ce fût la Restauration et le règne de Louis-Philippe. Elle était alors indispensable. Il y a dans les notes de Gaëtan Delmas, si oubliées aujourd’hui, une anecdote pittoresque à ce sujet.
Il se trouvait, par hasard, dans un café voisin du palais de justice. À une table voisine de la sienne était assis un jeune homme, fort médiocrement vêtu, qui donnait des signes visibles d’impatience. Il avait demandé de quoi écrire, et il écrivait, en effet, puis il déchirait son papier, recommençait, anéantissait de nouveau les lignes qu’il avait tracées en murmurant : « À quoi bon ? »
Delmas le prenait pour un amoureux qui, à la suite d’une querelle, se demandait s’il devait ou non envoyer à sa belle une épître enflammée pour solliciter d’elle une suprême explication. Il avait sans cesse les yeux tournés vers la pendule. Enfin, un gamin entra. Le jeune homme se précipita vers lui en l’interrogeant comme un messager qui porte une nouvelle décisive.
— Tout va bien ! dit le gamin essoufflé. Ils sont condamnés à mort !
— Enfin, reprit l’autre, avec un soupir de soulagement.
Celui qui attendait si anxieusement le jugement qu’on lui apprenait était un fabricant de complaintes. Il s’agissait du procès de Lesage et Soufflard, deux malandrins qui avaient assassiné une commerçante du faubourg du Temple, Mme Renaud.
Cette condamnation capitale lui assurait, à lui, la petite somme dont allait être payée son élucubration, répondant alors à des besoins immédiats. Il se mettait aussitôt à l’oeuvre avec entrain. Au moment où il terminait, le bruit se répandit que Soufflard, dans le trajet du palais de justice à la prison, venait de s’empoisonner. Quelle excellente occasion d’un trait final !…
Il expire… quel abus !
Et Soufllard ne souffle plus !
C’était, évidemment, un métier bizarre que de vivre des arrêts de mort qui étaient rendus !…
***
La complainte de Fualdès passe pour le chef-d’œuvre du genre. Mais on sait qu’elle ne fût qu’une parodie composée par des hommes d’esprit, s’amusant, pour un moment, à imiter les fabricants de ces poèmes primitifs. Mais, pour demeurer dans des temps moins éloignés de nous, la complainte de Troppmann ne manque pas de quelque saveur :
Troppmaan, quel nom plein d’audace
Est celui du meurtrier
Qui, tentant de se noyer,
Fut pris au Havre-de-Grâce… —
De grâce, non dans ce cas
On ne lui en fera pas !…
Ce sont ces rencontres de mots, voire de calembours, qui sont la règle dans une bonne complainte, qui se doit distinguer par de l’inattendu à chaque couplet, sous une apparence de naïveté. Du moins, au gré des « connaisseurs » On se rappelle l’horrible histoire de ce misérable, nommé Moyaux, qui jeta sa fillette dans un puits, à Bagneux. Tout Paris s’émut naguère de cet assassinat. La complainte évoquait la dernière promenade que devait faire la petite victime avec son père :
Il lui dit : Il fait superbe!
Nous allons nous promener,
Tu pourras bien t’amuser
Et cueillir des fleurs dans l’herbe.
De fleurs, y en avait pas —
Mais seulement le trépas !..
C’est une des dernières complaintes qui aient gardé la forme classique » et qui aient l’espèce de tenue spéciale à cette littérature — si l’on peut employer ce mot.
***
La complainte, depuis, a fait plus d’une infidélité l’air de Fualdès pour emprunter des timbres moins antiques. Mais elle a bien dégénéré on sent que ceux qui la bâclent, en hâte, n’ont plus la foi !
Quoique la complainte existe toujours, quoiqu’elle se soit exercée sur tous les événements récents (l’affaire Dreyfus, notamment, a inspiré un grand nombre de ces couplets) elle est devenue bien plate, elle ne se rattache plus que de loin à la forme et à l’esprit de celles d’autrefois.
Elle est même parfois prétentieuse, ce qui est tout le contraire du genre. C’est ainsi que l’assassinat des cinq enfants de Brière est raconté en méchants vers, mais en vers presque corrects. Déjà la complainte de la petite Louise Deu, assassinée par Menesclou, sur l’air de la Valse des adieux, n’est plus qu’une sorte de romance. Ce n’est plus cela !
Dans la collection que j’ai sous les yeux, je ne retrouve un peu du type consacré que dans la complainte de Vacher, cette sorte de bête brute qui fut envoyée à l’échafaud, quoique bien des circonstances plaidassent son irresponsabilité :
Il éventrait ses victimes
Avec un très long couteau,
II leur sortait’ les boyaux.
Jamais de semblables crimes
N’ont inspiré plus d’horreur…
Au fond, je crois bien que la complainte se meurt tout doucement. Elle résiste encore, mais elle s’en va, parce qu’on ne la prend plus au sérieux et parce qu’elle manque elle-même de conviction. On peut déjà la considérer avec cette sorte d’attendrissement qu’on a pour les très vieilles choses qui disparaissent.
Jean Frollo
Source : article paru en une sous le nom collectif de Frollo, dans Le Petit Parisien, du 30 mars 1904.
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Les Complaintes de l’affaire Vacher
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