Marc Renneville

Interview de l’auteur

 

Marc Renneville-Le Chant des crimes-Gaelis EditionsComment et pourquoi avez-vous choisi la criminologie et l’histoire de la justice, des crimes et des peines ? Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce domaine?

Je me suis intéressé à la criminologie parce que je pensais y trouver les réponses à mes interrogations sur la raison des comportements criminels au sens large : guerre, agression, violence, même lorsque cette dernière est dite « légitime ». Ma question de départ était donc peut-être un peu naïve, mais je reste persuadé aujourd’hui encore que ces questions sont les meilleurs stimulants à une quête de connaissances. Quant à la criminologie, j’ai été un peu déçu de ne pas y trouver les réponses que j’attendais alors, j’ai décidé de m’orienter vers l’histoire des théories scientifiques qui ont tenté d’expliquer le phénomène criminel et les comportements violents.

 

Comment choisissez-vous un sujet ? Quels sont les éléments qui vont faire que vous choisissez une affaire historique plus qu’une autre ?

Je ne suis pas persuadé de choisir mes sujets ou plutôt, il y a ceux que je choisis… et il y a ceux qui me poursuivent. Je les écarte, je crois les tenir à distance, et ils reviennent jusqu’à ce que je m’en occupe… Étant historien de métier, je suis guidé bien sûr par les documents disponibles ou, a contrario, par leur disparition mais ce qui décide du sujet, c’est l’intensité de la réaction qu’il suscite en moi. Il faut que ça résonne. Je ne travaille jamais sur les sujets qui m’indiffèrent. Parmi les sujets qui m’attirent, il y a en premier lieu la construction des savoirs et leur diffusion dans la société et la culture. J’ai ainsi été – et je reste – fasciné par des théories telles que la phrénologie ou l’anthropologie criminelle, qu’il est bien facile de moquer de nos jours mais qui ont été, il n’y a pas si longtemps, considérées comme plausibles. Nos ancêtres étaient-ils idiots ou moins intelligents que nous ? Certainement pas. C’est la plausibilité de ces constructions mentales qui m’intéresse parce qu’elle nous éclaire, en miroir, sur la fragilité de nos savoirs contemporains et les fils invisibles qui nous relient au passé. Mais je peux aussi m’emparer d’un sujet qui me révulse. J’ai ainsi longtemps tenu à distance les dossiers d’affaires criminelles. Je ne voulais vraiment pas en entendre parler… Et puis, malgré tout, au fil du temps, je suis entré dans ce chantier périlleux pour moi, parce qu’il exige une implication beaucoup plus personnelle et, à la différence de l’histoire des sciences que je pratique, une forte attention aux vivants, aux survivants, aux descendants blessés ou pris dans des mémoires traumatiques.

 

Comment avez-vous eu l’idée de créer Criminocorpus ? Quel est le but initial et comment va-t-il évoluer ?

L’idée de Criminocorpus est née au début des années 2000. À cette époque, l’histoire des sciences était pionnière sur le web en créant des sites de recherche. Le net n’était pas alors compartimenté en réseaux sociaux, il existait de nombreux moteurs de recherche concurrents et ce qui importait avant tout, c’était de créer des lieux permettant de rassembler des ressources en ligne pour la recherche. Mon collègue Pietro Corsi avait ouvert la voie en créant plusieurs sites et un portail sur l’histoire des sciences et des techniques qui avait valeur de modèle. J’ai tenté de faire de même pour l’histoire de la justice, des crimes et des peines.

 

Comment et pourquoi lier les humanités numériques avec l’histoire de la justice ?

Il y a pour moi un double enjeu. Pour la recherche en facilitant la mise en commun de documents et d’outils. Au-delà de la communauté scientifique ensuite, parce que notre travail sur les données et nos réflexions doivent être accessibles aux différents publics susceptibles de s’y intéresser. Les professionnels de la justice bien sûr, mais aussi les journalistes, les documentaristes, les romanciers et toute personne intéressée. L’enjeu est de fournir une information fiable sur le monde judiciaire souvent méconnu du public et donc, pour partie, ouvert aux fantasmes et aux controverses biaisées. Il y a aussi une volonté d’expérimenter de nouvelles écritures hypermédia, et de proposer ainsi, au-delà de l’écrit linéaire, des lectures buissonnières, mêlant image, son, réflexion, témoignages et documents originaux. C’est la tenace utopie de tout historien : restituer la vie, dans sa complexité. Enfin, et ce n’est pas le moins important, tout ceci doit être gratuit et librement accessible car la plateforme est gérée par le CLAMOR, une unité de services placée sous la double tutelle du CNRS et du ministère de la Justice, en partenariat avec les Archives nationales et de nombreuses institutions et personnes qui nous accordent leur confiance. Et en retour, l’équipe du CLAMOR est fière de proposer un service public conciliant fiabilité et divertissement.

 

Comment procédez-vous lorsque vous découvrez un sujet intéressant de recherche ? Quelles sont vos méthodes ? Combien de temps un sujet de recherche peut-il vous occuper ?

Qu’est-ce qu’un sujet intéressant ? L’intérêt n’est pas tant dans le sujet que dans le regard qu’on lui porte. Pour moi, le bon sujet est celui qui pose des questions. S’il est déjà bien balisé, s’il a été bien travaillé dans le passé, alors, il est tentant de penser que tout a été découvert. Il n’en est rien, on peut toujours renouveler ou compléter une lecture, une interprétation mais il faut trouver le moyen de produire un regard décalé, soit par l’utilisation de nouvelles sources, soit par une nouvelle lecture de sources connues.

 

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’affaire de Joseph Vacher ?

Voilà typiquement un sujet qui ne m’intéressait pas ! Trop horrible. J’en étais resté spectateur médusé, depuis la première fois où j’avais vu, alors que j’étais élève à l’école d’horticulture Du Breuil, le film Le Juge et l’Assassin, de Bertrand Tavernier. La projection avait été organisée par ma (formidable) professeure de français, Francine (Faly) Stachak, et il n’est pas impossible qu’elle ait contribué ainsi à l’éveil de mon intérêt pour cette part sombre de l’être humain… C’était… il y a longtemps. Et je n’ai retrouvé le vrai Vacher, caché derrière le Bouvier joué par Galabru, que très récemment, en cherchant à faire parler les nombreuses archives qui subsistent sur cette affaire judiciaire, parce que je préparais la réédition du livre de criminologie que le médecin expert Alexandre Lacassagne avait publié sur ce cas. Ce qui m’a intéressé était la possibilité d’en dire quelque chose de nouveau, en pointant la difficulté d’arrêter un tel tueur, sa trajectoire personnelle et la difficulté aussi – qui peut paraître paradoxal – de juger un tel individu.

 

Comment vous est venu l’idée de l’ouvrage Le Chant des crimes alors que vous avez déjà sorti deux ouvrages sur Joseph Vacher ? En quoi est-il différent?

L’affaire Vacher m’est apparu comme un incroyable réservoir d’histoires. On peut la restituer de multiples manières. En s’intéressant, par exemple, aux enquêtes qui n’ont pas permis d’arrêter l’assassin, en s’intéressant aux victimes, aux accusés à tort, aux justifications de Vacher, à ses écrits, au long et tortueux processus judiciaire qui a permis d’aboutir à sa condamnation, aux tentatives d’interprétations de son passage à l’acte, à sa prétendue simulation de folie, à la controverse médico-légale sur son irresponsabilité pénale supposée etc. Le projet initial était limité à la réédition, dans la nouvelle série « Archives » chez l’éditeur Jérôme Millon, de Vacher l’éventreur et les crimes sadiques (1899) d’A. Lacassagne mais, très vite, et grâce à l’éditeur qui m’a donné carte blanche, nous avons décidé de faire un livre sérieux sur un tueur en série. Quand je dis « sérieux », il faut entendre « qui prend le lecteur au sérieux ». J’ai voulu donner au lecteur la possibilité d’accéder à une sélection de documents originaux, en le guidant sur le contexte pour qu’il puisse se faire, à son tour, son opinion en épousant, tour à tour, la position d’une victime, d’un accusé à tort, de l’assassin, de ses juges ou de ses médecins. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré le procès, qui, par sa nature orale, ne laisse pas autant de traces écrites que l’enquête judiciaire. Ce procès m’a surpris dans sa dynamique, il m’a donc semblé intéressant de tenter d’en restituer les audiences. Ce fut mon premier récit de « fiction »  mais ce livre n’ayant vécu que quatre mois, je compte le reprendre un jour, en l’étoffant. Traces écrites de l’enquête, débats oraux du procès. Cela faisait déjà deux livres mais… il manquait encore l’émotion populaire collective face aux crimes. Je travaillais en parallèle à un projet collectif sur les complaintes criminelles, initié par Jean-François « Maxou »  Heintzen, et c’est tout naturellement que j’ai pris l’option de travailler les complaintes liées à l’affaire Vacher. En somme, Vacher m’aura pris une trilogie pour que j’en vienne à bout, tout en sachant que le sujet est loin d’être épuisé.

 

Quel est le but de cet ouvrage? Que représente-t-il pour vous ?

Avec un livre centré sur les archives de l’enquête, un autre sur le procès et un troisième sur la réception populaire de l’affaire, mon but était de montrer qu’on ne peut réduire une affaire judiciaire à un récit univoque. On peut la prendre par l’archive, par le débat contradictoire du procès ou par l’émotion collective et de bien d’autres manières encore mais cette facette de l’émotion populaire étant la moins connue, la plus difficile à travailler et la moins fréquentée par les historiens de la justice, le but de l’ouvrage était de la restituer en tentant de la faire partager. Mais comment faire ? Il est vain d’espérer restituer un passé que l’on n’a pas vécu mais il est possible de se positionner dans le temps de l’action décrite. C’est ce que propose Le Chant des crimes. Dans ce livre, la parole est donnée aux complaintes. Ce sont elles qui racontent l’affaire, la découverte des victimes, l’émotion de la population, la demande de justice. Ce sont elles qui portent l’accusation sur des faux coupables, qui dénoncent l’incurie de la justice, le complot des élites. Ce sont elles enfin qui chantent les louanges du bon juge Fourquet qui mène l’instruction, qui décrive le « tueur de bergers » comme un loup-garou et qui exigent, bien sûr, l’expiation des crimes par une condamnation à mort. Nous y avons ajouté les partitions, les paroles, de l’iconographie d’époque et j’ai présenté le contexte de chaque complainte, en les classant dans un ordre chronologique relatif. Une postface fait le point sur ce genre chanté populaire, longtemps méprisé, tant dans l’histoire de la justice qu’en musicologie.

 

Pourquoi avoir choisi Gaelis Éditions pour réaliser ce projet? Qu’est-ce qui vous a attiré et convaincu ?

J’ai compris que ce projet mêlant histoire et musique était pertinent lorsque j’ai entendu les premiers musiciens entonner des complaintes de Vacher, en avril 2019 (Patrick Couton et Roland Brou, Jean-François « Maxou »  Heintzen, Catherine Perrier) lors d’un colloque consacré à ce genre musical. Mais comment le réaliser ? Un livre réussi est toujours la conséquence de belles rencontres. Comme pour le livre d’archives réalisé avec mes éditeurs Marie-Claude Carrara et Jérôme Millon, j’ai trouvé avec Annabel et Christian Séguret des éditeurs qui ont accueilli le projet, et y ont participé à tel point qu’ils sont devenus co-producteurs de sa réalisation. Ce qui m’a attiré initialement, c’est qu’Annabel et Christian sont tous les deux musiciens. Ils étaient donc à même de comprendre ce que je voulais faire… et ce qui me donne la certitude que je ne pouvais faire ce livre ailleurs, c’est qu’ils sont aussi de bons éditeurs ! Inventifs, généreux et méticuleux. Grâce à Gaelis, le projet initial a beaucoup évolué. De simple recueil de complaintes qu’il était au départ, il est devenu un beau livre, vraiment unique par son sujet et sa présentation. Et plus encore, un « livre augmenté », puisqu’il est articulé à un site web dédié, avec des interprétations de complaintes et un documentaire vidéo. Je ne vois pas quelle autre maison que Gaelis aurait pu investir à ce point le projet, en l’enrichissant de nouvelles interprétations et même, de création musicale contemporaine, ainsi qu’on peut le découvrir sur le site.

 

Avez-vous des futurs projets en cours de réflexion ? Des nouveaux projets qui vont bientôt voir le jour ?

Oui, en cours de réflexion, c’est la fiction. J’ai longtemps travaillé sur une affaire judiciaire dont, à la manière de Vacher, je ne voulais pas entendre parler et puis, à la fois en raison du manque d’archives judiciaires et en hommage aux témoins qui m’ont ouvert leur mémoire, je l’ai traité en roman. Si ce roman voit le jour et qu’il trouve son public, alors, je reprendrai mon récit du procès de Vacher pour clore ma trilogie sur cette affaire. Cette reprise permettra aussi de l’inscrire dans une série avec des personnages de fiction qui nous mèneront ensuite dans le nord de la France, dans les années 30.

À plus brève échéance, je travaille avec Jacqueline Carroy, historienne de la psychologie, sur un drame d’amour qui s’est déroulé à Constantine, en 1888. C’est l’affaire Chambige. Nous préparons un livre pour les éditions La Découverte, à paraître dans la nouvelle collection « À la source ». Il s’agit à la fois d’une énigme judiciaire et d’un incroyable réservoir de fictions littéraires.

 

 

 

 

LE CHANT DES CRIMES
Les Complaintes de l’affaire Vacher 

Marc Renneville.
25 avril 2021 – Éditions Gaelis 

Format Broché : 180 x 230 –  ISBN : 978-2-38165-039-5
Nbr de pages : 132
Illustré : Oui

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